L’écriture est solitaire. Aussi les amis, les lecteurs et ce qu’on dit de vous prend parfois une importance démesurée.
Pourquoi devenir écrivain ?
Aux sempiternelles questions, l’auteur apporte de sempiternelles réponses. Et lorsqu’un bel après-midi, un élève de seconde m’a demandé si un livre « m’avait plus qu’un autre donné l’envie d’écrire », j’ai donné la réponse immédiate mais fausse de la romancière jamais prise au dépourvu : « oui, « l’étranger » d’Albert Camus. »
Fausse réponse parce qu’avant ce livre, primordial pour moi, il y en a eu un autre. Et c’est sur l’autoroute du retour que je me suis dit : «Menteuse, tu n’es qu’une menteuse ».J’en aurais pleuré et je crois bien que j’en ai pleuré.
J’avais renié le livre qu’une vague connaissance de ma mère, propriétaire d’un tabac-presse, m’avait apporté sur mon lit d’hôpital. J’avais quinze ans et on venait de m’ouvrir le ventre pour en extraire un appendice enflammé. Elle ne me plaisait pas cette dame et surtout je m’agaçais à l’idée qu’elle puisse s’imaginer une seconde que je pourrais lui témoigner quelque reconnaissance pour sa visite et son bouquin. Mais elle était gentille et a pris mon silence pour de la fatigue. Ma mère a remercié pour moi.
Le roman avait une couverture que je trouvais mièvre, un dessin qui ne représentait pas le titre : « Le lys de Brooklyn ». Et cette Betty Smith, il ne pouvait s’agir que d’un nom d’emprunt. Je crois même que je soupçonnais la brave dame de m’avoir offert un de ces romans à l’eau de rose qu’on ne trouve que dans les tabacs-presse et outre-Atlantique.
Et puis j’ai lu la première page, puis la seconde et encore les autres, toutes. Et je me suis prise au jeu de cette famille d’immigrés irlandais dont le père était pianiste de bar, amateur de cartes et de whisky. Ce Nolan m’a fait rêvé tout autant qu’il m’a épouvantée. Plus tard en lisant Steinbeck, j’ai fait un rapprochement entre ces deux sagas familiales. Mais avant cela, les mots m’ont touchée et quelques phrases en particulier que je n’ai eu de cesse de retrouver lorsque j’ai remis la main sur le livre : « Quand l’argent manquait, que les vivres étaient presque épuisés, katie et les enfants jouaient à faire semblant d’être des explorateurs qui découvraient le Pôle Nord et se trouvaient bloqués dans une caverne par une tourmente de neige. Il fallait faire durer les vivres jusqu’à l’arrivée des secours».
J’ai eu honte du « Lys de Brooklyn » au point de l’avoir refoulé très loin dans ma mémoire, de l’avoir même égaré, et pourtant c’est lui qui m’a appris l’amour de la phrase juste, du réalisme qui n’a de réaliste que les situations et qui dépeint en creux les personnages. Toutes ces choses qui paraissent vraies et qui ne sont qu’imagination. L’art d’inventer. L’art d’aimer. L’art d’écrire.
Et je l’ai enfin compris, le jour où après l’avoir cherché et commandé sur Internet, dans la rubrique des « introuvables », je l’ai tenu entre mes mains. Ce fut un choc. Vraiment. Celui qu’on ressent à la vue d’une personne que l’on ne croyait ne plus jamais revoir et que l’on vient de rencontrer. J’ai relu le roman et j’ai retrouvé intact l’émoi qui s’était emparé de moi à la première lecture. Les mots disaient pourquoi j’écrivais des romans. C’était une évidence.
Pour qui écrire ?
Au tout début, j’ai écrit sans penser à qui allait me lire. Puis mon premier roman publié, on m’a collé l’étiquette « Mano, auteur de polars » et c’était normal puisqu’il s’agissait de « Boucher double » dans la fameuse collection du « Poulpe ». C’est seulement au fil de mes publications que j’ai compris que l’étiquette collait vraiment trop. J’écrivais des romans noirs sans énigme policière, sans l’ombre d’un képi ou d’un calibre, et on continuait à dire de moi « Mano gentil auteur de polars ».
C’est alors que j’ai pris une nouvelle direction en 2000 avec la sortie d’un premier roman pour la jeunesse, et là j’ai vite compris qu’on m’enfermait malgré moi dans un nouveau carcan : « Mano Gentil, auteur pour les filles ». Je me suis laissée prendre au jeu avec plaisir et j’ai produit pour des collections « spécial filles » ou pour la presse comme « Julie mag » chez Milan ou « les petites sorcières » chez Fleurus. En 2006, nouveau tournant avec la sortie du « Photographe ». Un roman pour « les plus de quinze ans » qui marque pour moi un retour vers l’écriture pour adultes. Un roman qui sera certainement l’amorce d’une nouvelle étiquette! Mais qu’y faire ? L’essentiel pour moi est de continuer pour le plaisir : le mien et celui de mes lecteurs.
Par qui être lue ?
Les enfants, les adolescents, les adultes, je les rencontre au cours de signatures ou de passages sur des salons ou dans des établissements scolaires. J’ai toujours une appréhension à les rencontrer parce que je sais qu’ils m’ont imaginée en me lisant, qu’ils ont supposé maintes et maintes choses qui parfois sont très loin de ma personne. Très souvent, ils me supposent sombre, mélancolique, et lorsqu’ils me rencontrent ils sont toujours étonnés de voir quelqu’un maniant beaucoup l’humour et d’une apparence plutôt sympathique. A cela, toujours je ne peux répondre que très certainement ma jovialité cache une détresse intérieure profonde et un réel tourment.
Il en va de même pour les professionnels du livre (libraires, documentalistes, bibliothécaires…) avec qui je me lie très souvent d’amitié et qui finissent par cracher le morceau : « je ne t’imaginais pas comme cela en te lisant. J’avais un peu d’appréhension… « .
Il y a la presse aussi. Et là, bien évidemment, il y a les bonnes et les mauvaises critiques. Il y a dix ans quand j’ai commencé à être publiée, toute critique me paraissait insupportable. J’y voyais toujours une attaque contre ma personne. Mais aujourd’hui, la maturité aidant, j’ai compris qu’on ne peut pas plaire à tout le monde et que, en plus, chacun son métier. Après tout, les critiques sont là pour émettre une opinion sur un texte, libre à celui qui veut le lire de s’en inspirer ou non.
Et puis enfin, il y a les proches. Forcément, ils vous aiment et forcément tout leur paraît magnifique, exceptionnel ! Et lorsqu’un texte leur a moyennement plu, ils se plaisent à dire que « ce n’est pas leur préféré et que leur préféré justement c’est … ». Et ils ne tarissent pas d’éloge après avoir habillement détourné la conversation !